Dans l'Inde britannique du XIXe siècle, la création des "Public Works Departments" (PWD), dominés par les ingénieurs, révolutionna la pratique de la construction de bâtiments. Les plans étaient dessinés par des ingénieurs britanniques plutôt que par des maîtres-artisans sur le chantier. Dans un souci de rationalité et d'efficacité, les PWD introduisirent la pratique des devis quantitatifs et formalisèrent les procédures d'appel d'offre public.
Dans les années 1840, un besoin croissant d'assistants techniques mena à la création de plusieurs écoles d'ingénieurs accessibles aux autochtones. Tandis que de nombreux diplômés ingénieurs civils d'origine indienne étaient engagés par le PWD colonial, d'autres établissaient leurs propres entreprises privées en tant qu' entrepreneurs généraux. Après l'accession à l'indépendance en 1947, cette génération d'ingénieurs indiens, formée par les Britanniques, joua un rôle prépondérant dans le développement des pratiques de construction, tant dans le secteur privé que public.
Là où les pratiques de construction durant le "British Raj" (1858-1947) jouissent depuis peu d'un intérêt accru au niveau académique (notamment dans l'œuvre de M. Chrimes), on en sait beaucoup moins sur la période suivant l'indépendance et sur la pratique des ingénieurs autochtones. C'est pourquoi cet article s'attache à étudier l'activité professionnelle des ingénieurs civils indiens dans le cadre de leurs entreprises de construction dans la ville de Pune au cours des premières décennies postindépendance (1947-1982).
L'étude se base sur des données recueillies à partir d'entretiens et d'archives de bureau. L'auteur analyse le type de projets effectués par ces entreprises, les tâches professionnelles des ingénieurs-entrepreneurs, leurs relations sociales avec les sous-traitants et les ouvriers, les type de contrats, les conditions salariales, ainsi que leurs réseautages et l'échange d'information. Cet article s'attache à jeter la lumière sur la façon dont, dans une situation postcoloniale, des modèles occidentaux de génie civil furent transposés dans le contexte indien.