Procédé couramment utilisé au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, la sous-traitance de la construction de la flotte française connaît un rythme très soutenu à partir de la guerre d'Indépendance américaine et jusqu'à l'Empire. Au cours de cette période, de très nombreux chantiers privés se chargent alors de la construction ou de la préfabrication de près de la moitié des navires de guerre, les arsenaux ayant atteint leur pleine capacité de production. Or, la réception de ces unités et le paiement de l'entrepreneur sont conditionnés par des visites régulières des ingénieurs-constructeurs qui valident ou non les différentes étapes de la construction. Ces visites, programmées au moment de la signature du marché entre l'entrepreneur et l'Etat et correspondant à des phases clés de la construction (fixation de la quille, construction et élévation de l'arcasse, balancement, vaigrage, etc.), donnent lieu à un procès-verbal et, éventuellement, à des échanges entre les parties en cas de litige. Comment a lieu cette expertise sur les chantiers ? A côté de l'ingénieur, quelles sont les parties prenantes de ces étapes cruciales ? Quelle est la forme du dialogue technique qui s'instaure entre l'ingénieur, l'entrepreneur et les techniciens présents sur le chantier (charpentiers, perceurs, calfats, etc.) ? Déconstruire le processus de l'expertise permet de saisir les enjeux économiques et sociaux de ces sous-traitances (organisation du chantier, choix des matériaux, etc.) tout en mesurant les circulations techniques entre les arsenaux et les chantiers privés (modalités des transferts/réception des savoir-faire). Fruit du croisement d'archives publiques et privées concernant des chantiers français, cette communication entend dessiner les contours d'une « archéologie du geste expert » en s'attachant à rétablir la quotidienneté de ce processus technique tout en établissant des principes généraux.